François LEMPÉRIÈRE1, Luc DEROO 2
- François LEMPÉRIÈRE a participé à la construction et/ou l’étude d’une vingtaine de grands ouvrages maritimes (digue du Havre Antifer, Grande Forme pour paquebots de Saint-Nazaire, Port de Jeddah) ou fluviaux (Rhône, Rhin, Nil, Zambèze). Il a dirigé les Comités Techniques sur le coût des barrages de la Commission International des Grands Barrages (C.I.G.B.). Il a participé à cinq études sur l’énergie marémotrice en France, en Inde et en Russie. Il préside Hydrocoop, une association sans but lucratif de conseils sur barrages et énergie.
- L. DEROO est Président du Bureau d’Etudes I.S.L. Il préside un Comité Technique de la C.I.G.B. Il a été Rapporteur Général au Congrès de 2015. Il dirige l’Etude Technique du Groupe National d’Etudes « Le Nouveau Marémoteur ».
Résumé
Entre Loire et Gironde, trois golfes s’ouvrent largement sur l’Atlantique :
– à l’est de Noirmoutier, au nord de Ré, à l’est d’Oléron
Totalisant 1.000 km², bordés par 200 km de côte, ces golfes sont exposés aux tempêtes et aux niveaux exceptionnels de l’océan accrus par le changement climatique. 500 km² à terre sont peu utilisés parce qu’inondés parfois d’eau salée. Cette situation freine le développement économique de la Charente-Maritime, de la Vendée et de la Loire-Atlantique.
Il est maintenant possible de protéger gratuitement ces trois golfes et de favoriser ainsi leur développement avec un impact positif sur l’environnement et très important sur l’emploi. On peut en effet maintenant les protéger par des digues créant des bassins d’énergie marémotrice : ces digues peuvent être payées par la production d’électricité.
– Une nouvelle solution pour l’utilisation de l’énergie marémotrice « les Maréliennes » permet en effet d’exploiter économiquement les sites de marée modérée de cette région ; cette solution conserve à la côte le rythme des marées et leur amplitude usuelle tout en y évitant les tempêtes et en réduisant de 2 m les niveaux hauts exceptionnels très pénalisants. Cette solution est présentée favorablement par le Groupe National d’études du « Nouveau Marémoteur » qui analyse les problèmes techniques, économiques et environnementaux. Les conditions locales favorables de topographie et de profondeur permettent une production marémotrice rentable de 10 TWh/an, proche de la consommation d’électricité des départements concernés.
La protection gratuite ainsi obtenue permet :
– Une meilleure utilisation de 200 km de côte.
– Une meilleure utilisation de centaines de km² de terrain.
– Une occasion exceptionnelle de développement de l’aquaculture dans des conditions idéales de courant quasi permanent et de faibles vagues sur de très grandes surfaces.
– Le développement éventuel d’énergie éolienne très compétitive en eau calme.
– Le développement des sports nautiques facilité par des aménagements faciles de la côte. Le passage des digues sera assuré par des écluses.
– De meilleures conditions de pêche à cause de la réduction des vagues. La solution proposée est la plus favorable au passage des poissons entre mer et bassin.
– Le port de La Rochelle n’est pas concerné directement mais pourrait être très agrandi gratuitement à cette occasion.
Les trois aménagements sont indépendants ; leur réalisation peut être échelonnée ou simultanée en partie. La durée de réalisation d’un aménagement est de 3 à 4 ans.
L’ensemble peut être en service en 2030 mais 5.000 emplois peuvent déjà être créés pour les travaux dès 2025.
Cette opportunité peut apparaître a priori utopique et susciter des critiques immédiates. Elle semble mériter une analyse objective. Elle est basée sur des techniques éprouvées.
Mots-clés :
Energie marémotrice, hydroliennes, maréliennes.
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L’objectif
Le littoral de la Loire à la Gironde a une longueur développée de 400 km. Il est largement ouvert aux fortes houles fréquentes et aux tempêtes de l’Atlantique. L’amplitude de la marée, proche de 4 m en moyenne, peut atteindre exceptionnellement 7 m ; son association avec des surcotes exceptionnelles et la montée des océans expose des centaines de km² de terrain à des inondations exceptionnelles d’eau salée et les crues des rivières s’écoulent mal. Un contrôle des niveaux exceptionnels pourrait avoir un impact économique très favorable et peut s’envisager s’il tient le plus grand compte de l’écologie et si son coût est raisonnable.
Sur la moitié de sa longueur le littoral pourrait être abrité des tempêtes et des niveaux de mer très élevés, ouvrant des possibilités de développement des zones ainsi abritées : 200 km de littoral, 1.000 km² de surfaces marines et 1.000 km² de surfaces terrestres.
Les trois zones correspondantes se trouvent à l’est de Noirmoutier, au nord de Ré, à l’est d’Oléron. Elles peuvent être protégées par des digues totalisant 40 km : un exemple de tracé est suggéré sur le plan 1 (figure 1).
Figure 1. Les trois zones correspondantes
Cette proposition peut paraître utopique et pose d’ailleurs quatre problèmes importants :
1.1 La faisabilité technique
Réaliser des digues en mer à une profondeur d’une dizaine de m sous les basses mers est en fait une technologie parfaitement maîtrisée.
1.2 Le coût
Il peut être nul car les digues peuvent être totalement payées par une production d’énergie marémotrice de plus de 10 TWh/an correspondant à la consommation des départements concernés : Charente-Maritime, Vendée et Loire Atlantique.
1.3 Les impacts socio-économiques
Les impacts positifs de protection et d’opportunités de développement sont très importants et très variés. La création d’emplois est de l’ordre de 10.000.
La gêne apportée par la digue à la navigation sera limitée par des écluses et compensée par la réduction des fortes houles sur 1.000 km² de bassins et la création de ports de pêche et de plaisance accessibles en tout temps.
L’accès au port de La Rochelle sera inchangé. Des extensions peuvent être favorisées.
L’impact global sur la pêche et l’aquaculture peut être très favorable.
1.4 Les Impacts écologiques
On ne peut éviter l’impact défavorable à l’emplacement et au voisinage des digues, soit sur 2% de la surface de bassin ; mais la solution proposée, notamment pour la gestion des niveaux d’eau dans les bassins, tient le plus grand compte des problèmes écologiques et peut éviter certains inconvénients actuels. Une concertation objective est essentielle et l’impact sur l’écologie sera un élément clé pour la décision de réalisation mais un refus a priori ne serait pas justifié car le bilan global pour l’écologie peut être positif.
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Quelle solution ?
Est-il possible de produire de l’énergie marémotrice rentable en respectant l’environnement et en ayant des impacts socio-économiques favorables ?
Les deux réalisations mondiales importantes peuvent être utilisées comme référence :
– L’aménagement de la Rance a été étudié il y a soixante ans : le mot même d’« écologie » était alors pratiquement inconnu et la conception et la réalisation ont été très différentes des solutions qu’on utiliserait actuellement pour ce site. Il est certain que la faune et la flore du bassin ont été très modifiées même si un nouvel équilibre s’est établi. Cet exemple ne devrait pas empêcher des réalisations marémotrices respectueuses de l’écologie.
Il y a soixante ans le transport ferroviaire utilisait le charbon, ce qui était peu favorable à l’écologie. On n’utilise pas cette référence aujourd’hui pour critiquer TGV ou TER.
– Le site de Shiwah en Corée, mis en service récemment, a la même importance que la Rance. Sa rentabilité directe est médiocre et la décision de l’équiper a été basée sur son impact très favorable sur l’environnement dans le bassin.
La solution la plus adaptée aux 3 sites envisagés entre Loire et Gironde est une opération dans les deux sens entre mer et bassin (figure 2) qui permet de conserver dans le bassin le rythme des marées naturelles avec un décalage de 2 heures qui n’a pas d’inconvénient.
Figure 2. opération dans les 2 sens
L’amplitude dans le bassin est sensiblement la même que dans la mer mais il est possible d’éviter les plus hauts niveaux exceptionnels dans le bassin et à la côte lorsqu’on les juge défavorables. On peut ainsi éviter des inondations d’eau salée sur de grandes surfaces ; on réduit aussi les tempêtes dont l’effet peut être dommageable sur la faune et la flore du littoral.
Ce mode opératoire conduit à des différences de niveaux assez faibles entre mer et bassin, ce qui ne favorise pas l’emploi de turbines classiques comme à la Rance ou à Shiwah.
Dans la solution des « Maréliennes » (figure 3) l’échange d’eau entre mer et bassin est assuré par des chenaux de quelques centaines de m où sont placées des hydroliennes opérant avec une vitesse de courant optimale et dans des conditions beaucoup plus favorables qu’en pleine mer. Cette solution les « Maréliennes » est beaucoup plus rentable que les solutions classiques pour les sites de marée modérée de l’Atlantique.
Figure 3. Solution « Maréliennes »
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Quels tracés ?
De nombreuses options peuvent être envisagées. Le choix doit tenir compte notamment des profondeurs, de la présence favorable de rocher et des impacts divers.
Un exemple de tracé est suggéré pour chaque site pour une digue de 10 à 15 km de longueur qui protège 300 km² de bassin, 50 km de littoral et des centaines de km² de terrains inondables. Une puissance installée d’1 GW produit près de 4 TWh/an d’électricité prévisible et renouvelable :
– Pour la Baie de Bourgneuf, on peut relier un atterrage situé à l’ouest de Pornic avec Noirmoutier-en-l’Île où on peut créer un port de pêche et de plaisance. On peut éviter les niveaux d’eau excessifs pour le marais Breton Vendéen.
– On peut relier l’extrémité ouest de l’Île de Ré à un atterrage à l’ouest de la Tranche-sur-Mer. On peut créer un port de pêche et de plaisance aux deux atterrages. On protège des zones de littoral exposées actuellement notamment sur l’Île de Ré et à l’Aiguillon. On peut éviter les niveaux d’eau excessifs qui menacent actuellement le Marais Poitevin.
La fermeture du golfe est complétée par une digue proche du pont de l’Île de Ré.
– Pour Oléron, le tracé suggéré relie un atterrage situé quelques km au sud de La Rochelle à un atterrage situé au nord de l’Île d’Oléron. Les accès des ports de La Rochelle ne sont pas modifiés mais on peut profiter des travaux pour apporter des améliorations. On peut créer un port de pêche et de plaisance à l’atterrage d’Oléron. On peut réduire les inondations de la Charente
Les 3 aménagements suggérés ci-dessus ne posent pas de problèmes techniques difficiles ; les profondeurs d’eau pour les digues et les chenaux sont presque optimales. Les atterrages proposés évitent les zones construites. 2 ports existants : Rochefort et Pornic se trouvent à l’intérieur des bassins, leur accès en mer nécessitera un passage par les écluses prévues dans les digues.
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Coût
L’investissement global pour les digues, chenaux, turbines, écluses et ports associés est proche de 10 milliards d’€ pour une production supérieure à 10 TWh/an.
La production est limitée à 3 ou 4 heures par demi-marée de 6 heures mais il y a un décalage horaire des marées de 3 heures avec l’ouest du Cotentin où se situe le potentiel marémoteur majeur. La production des 3 sites de l’Atlantique est donc un complément idéal de la production de la Manche.
La protection des 3 golfes de l’Atlantique peut donc être gratuite.
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Impacts sur l’écologie
– Un impact certainement négatif est l’utilisation d’espace pour les digues, les ouvrages et les emprunts de matériaux. La surface concernée est de 20 km², deux pour cent de la surface des bassins.
L’impact sur les poissons est potentiellement important, les volumes d’eau échangés à travers les chenaux de maréliennes étant très considérables : 3.000 km3 par an. Les chenaux de maréliennes sont plus favorables que les groupes bulbes de la Rance et Shiwah où l’impact semble faible. Le risque doit être évalué objectivement et l’impact réel d’un site semble à l’échelle de l’impact de quelques chalutiers !
– Une inconnue est l’impact sur la ressource dans les bassins : cette ressource sera probablement peu changée mais il n’est pas exclu qu’elle soit réduite ou augmentée.
– Un impact très favorable semble la suppression des niveaux d’eau salée hauts exceptionnels. Près de 1.000 km² de terrains à risque peuvent bénéficier des aménagements. On peut réduire de 2 m le niveau d’eau atteint exceptionnellement.
– La réduction des fortes tempêtes sur plus de 100 km de littoral semble favorable à la flore et la faune.
– Le problème de sédimentation est actuellement important. La gestion prévue des bassins devrait avoir peu d’impacts si on gère les bassins en tenant compte de ce problème. L’absence de grandes tempêtes dans les bassins peut faciliter la gestion de la sédimentation existante par dragage.
L’écologie est un critère très important pour la décision d’investissement. L’étude correspondante doit être exhaustive.
Cette étude pourra par exemple s’inspirer de l’analogue naturel que constitue le golfe du Morbihan séparé de la mer par le goulet de port Navalo. Le golfe du Morbihan s’étend sur une superficie de 40 km². Les marées y sont décalées de la pleine mer de 2 h environ. Le golfe du Morbihan fonctionne donc, naturellement, comme un bassin marélien. Il offre un point de comparaison utile pour tout projet futur.
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Impacts socio-économiques
Les impacts positifs peuvent être directs, notamment :
– Protection de 150 km de littoral et de 1.000 km² de bassin contre les tempêtes et les niveaux d’eau exceptionnels.
– Réduction des inondations sur 1.000 km² de terrain, notamment dans le Marais Breton et le Marais Poitevin et dans les îles de Noirmoutier, Ré et Oléron et le long des rivières ayant leur estuaire dans les bassins.
Ils peuvent être indirects en utilisant les facilités créées :
– Développement de la plaisance avec des ports supplémentaires (figure 4).
– Développement du tourisme avec des aménagements du littoral.
– Développement de l’aquaculture dans des conditions idéales de courant et de faible houle.
– Développement éventuel de fermes éoliennes économiques : en utilisant 20% des bassins, on peut produire 3 TWh/an.
Figure 4. Exemple de port de plaisance et de pêche à un enracinement
La création d’emplois avec ces développements et avec la construction et l’exploitation des ouvrages marémoteurs sera de l’ordre de 10.000.
Les impacts sur la pêche ne sont pas évidents. La réduction des tempêtes dans les bassins et la création de ports sont favorables mais il reste une incertitude sur l’importance de la ressource future dans les bassins.
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Changement climatique
La côte atlantique présente une vulnérabilité forte au changement climatique, en particulier pour deux raisons : l’augmentation de l’aléa de submersion marine et l’accélération de l’érosion côtière. L’élévation du niveau des océans augmente le risque dans des proportions importantes.
Dans les secteurs protégés par les digues des bassins maréliens, il est possible de supprimer les aléas submersion et érosion côtière jusqu’à l’horizon 2100 ou davantage, avec une marge de sécurité très importante, et sans surcoût notable.
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Conclusion
L’aménagement des trois golfes de Noirmoutier, Ré et Oléron parait avoir beaucoup plus d’impacts favorables que défavorables et pourrait être une occasion exceptionnelle de développement économique pour la Charente Maritime, la Vendée et la Loire Atlantique.
Cette option peut paraître utopique ou provocatrice. Elle semble mériter au minimum une étude objective.
- Références
– Techniques de l’Ingénieur, 05.2014 : « Utilisation innovante des hydroliennes : les maréliennes ».
– Rapport au Congrès de Stavanger 2015 : “New promising solutions for tidal energy”
– Hydropower & Dams, Issue 1, 2014 : “New solution could double world tidal energy potential at half of the cost”
– Colloque de Rennes, 09.2017 : « L’énergie des marées – Perspectives mondiales et production permanente ».
– Colloque de Nantes, 06.2016 : « Site marémoteur de Bourgneuf – Commentaires sur l’étude hydrodynamique de l’Université de Nantes »
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