François Lempérière (HydroCoop) – Mars 2015
L’analyse ci-dessous et le scénario proposé sont basés sur les données de l’I.E.A. (Agence Internationale pour l’Energie), sur des technologies confirmées et sur les hypothèses usuelles de démographie et de besoins d’énergie.
Mais l’analyse est inusuelle sur 3 points essentiels :
– Les études habituelles se réfèrent à l’Energie Primaire ou à ce qu’on appelle l’Energie Finale. L’étude ci-dessous se réfère à l’Energie Réellement Utilisée qui est de l’ordre de la moitié de l’Energie Finale et du tiers de l’Energie Primaire. C’est un critère mieux adapté à la comparaison entre énergies fossiles et renouvelables.
– L’analyse distingue les Pays du Nord (O.C.D.E., Chine, Russie, Moyen-Orient) des Pays du Sud dont le produit et les émissions de CO² par habitant sont cinq fois plus faibles. La Chine est clairement un Pays du Nord par ses émissions et son Produit Brut Réel.
– Le scenario étudié admet le même objectif pour tous les pays : une émission de CO² par habitant inférieur à 2 t en 2050.
1. Evaluation de l’Energie Réellement Utilisée en 2011
Les évaluations usuelles sont en TEP (Tonnes d’équivalent pétrole), ce qui prête à confusion, l’énergie utilisée à partir d’une tonne de pétrole étant généralement très inférieure à une TEP.
Une TEP est en fait égale à 11 630 kWh. La présentation ci-dessous est faite en kWh ou TWh (un milliard de kWh). L’électricité qui fournit déjà un tiers de l’énergie mondiale utilisée en fournira les deux tiers en 2050. Le kWh est donc représentatif.
– Une référence usuelle est l’« Energie Primaire », c’est-à-dire l’énergie totale existant dans les différentes sources d’énergie. Elle représente très mal l’importance relative des énergies fossiles et de la plupart des énergies renouvelables et fausse les évaluations de scénarios à long terme.
– L’autre référence usuelle est l’« Energie Finale » dont le nom est inadapté. C’est l’énergie contenue dans les combustibles ou l’électricité à disposition de l’utilisateur. Mais l’énergie réellement utilisée peut varier de 10 à 90% de l’Energie Finale suivant la source et l’utilisation et n’est en moyenne que la moitié de l’Energie Finale. L’énergie Finale représente mal l’Energie Utilisée mais aussi l’émission de CO². Elle minimise à tort le rôle de l’électricité et donne trop d’importance au pétrole et à la biomasse.
Enfin le montant officiel de l’Energie Finale inclut pour 9% des combustibles utilisés à d’autres buts que l’énergie.
Une comparaison sommaire entre Energie Finale et Energie Utilisée est faite ci-dessous pour 2011 à partir des chiffres de l’I.E.A. et en admettant que l’Energie Réellement Utilisée est :
– 90 % de l’Energie Finale électrique
– 30% de l’Energie Finale des transports (la plus grande partie de l’énergie du carburant est perdue dans les moteurs et les freins).
– 30% de l’Energie Finale de la biomasse dont la plus grande partie est utilisée en Afrique et Asie pour la cuisson des aliments avec un très faible rendement.
– 70% des autres « Energies Finales » utilisées surtout pour le chauffage domestique ou industriel.
D’où le tableau comparant, en TWh, Energie Finale et Energie Réellement Utilisée.
On peut naturellement modifier les coefficients ci-dessus mais quelques résultats essentiels seront inchangés :
– L’Energie Réellement Utilisée est très inférieure à l’Energie Finale.
– L’électricité procure un tiers de l’énergie et non 18%.
– La part des transports dans l’Energie Utilisée est plus proche de 15% que de 30%.
La part réelle des différentes sources d’énergie dans l’Energie Utilisée peut s’évaluer à partir du tableau ci-dessus et de la répartition des sources d’électricité (d’après l’I.E.A., 22% provient du gaz, 41% du charbon, 5% du pétrole, 16% de l’hydro, 12% du nucléaire, 4% autre)
La part du pétrole est de 27% et non 42% ; la part du nucléaire est 4%.
L’Energie Réellement Utilisée en 2011 et estimée pour 2050 peut être répartie entre Pays du Nord, essentiellement au-dessus du 35ème parallèle Nord (O.C.D.E., Chine, Russie, Moyen-Orient) et Pays du Sud.
Les comparaisons ci-dessous sont basées sur les données de l’I.E.A. Elles incluent les émissions de CO², les quantités d’Energie Utilisée et le Produit Brut.
Comparaisons Nord-Sud pour 2011
La répartition est faite suivant la répartition de l’Energie Primaire, ce qui est raisonnable en 2011.
Par habitant, le Produit Brut, l’énergie utilisée et l’émission de CO² sont environ cinq fois plus élevés pour les Pays du Nord que pour les Pays du Sud.
2. Un scénario pour 2050
Le scénario ci-dessous est basé sur les hypothèses les plus plausibles : on présente ensuite l’impact d’hypothèses différentes.
La population des Pays du Sud augmentera de 3,8 à 5,5 milliards, si le revenu par habitant triplera (+3% par an), l’utilisation d’énergie par habitant doublera de 3 000 à 6 000 kWh.
La population des Pays du Nord augmentera de 3,2 à 3,5 milliards, le Produit par habitant peut doubler (+2% par an) mais l’énergie utilisée par habitant peut se réduire un peu de 13 000 à 10 000 kWh/an (l’utilisation actuelle en Europe est de 12 000 kWh/an).
L’énergie utilisée est alors :
L’Energie Utilisée augmenterait ainsi de 53 000 à 68 000 TWh/an, de 30% comme la population.
En 2011, 41 500 TWh étaient utilisées en provenance d’énergies fossiles dont l’impact doit être réduit de moitié en 2050, ce qui réduirait à 20 700 TWh leur utilisation pour 9 milliards d’habitants, soit
2 300 kWh/habitant.
On peut cependant admettre que la part du gaz dans l’énergie fossile augmentera et que l’utilisation d’énergie fossile peut atteindre 2 500 kWh par habitant (au lieu de 6 000 kWh en 2011), 22 500 Twh en tout, soit un tiers de l’utilisation totale d’énergie de 68 000 TWh.
3. Sources d’énergie en 2050
L’utilisation acceptable de combustibles fossiles peut être 15 ou 20% de la production électrique pour raison de flexibilité, la moitié des transports et l’emploi économique de gaz et charbon dans l’industrie lourde (sidérurgie, ciment, …). Il est envisageable de réduire des 2/3 l’utilisation du charbon, de 40% celle du pétrole, de 20% celle du gaz.
L’énergie nucléaire présentera peu d’intérêt pour les Pays du Sud étant concurrencée par l’énergie solaire. Elle représente actuellement 5% de l’énergie des Pays du Nord, 25% en France. Elle peut rester intéressante pour l’Europe du Nord, la Russie et la Chine ; pour des raisons de coût, sécurité, et ressources elle sera probablement limitée à une utilisation de 3 000 TWh/an.
Le potentiel et le caractère renouvelable de la biomasse ont été surestimés. Le potentiel global de la géothermie est limité. Utiliser ces deux sources pour 5 000 TWh parait un maximum.
La différence : 68 000 -(22 500 + 3 000 + 5 000) = 37 500 TWh ne peut provenir que de l’hydraulique, de l’éolien et du solaire.
La production hydroélectrique, actuellement de 3 500 TWh peut atteindre au maximum 8 000 TWh (y compris énergies marines). Compte tenu du transport et des pertes, l’utilisation correspondante est de 6 500 TWh. 30 000 TWh doivent provenir de l’énergie solaire ou de l’énergie éolienne.
Tous les Pays du Sud ont beaucoup de soleil et beaucoup ont du vent. Beaucoup de Pays du Nord ont du vent mais l’énergie solaire est coûteuse au-dessus du 45ème parallèle. On peut en déduire une :
Répartition des sources d’énergie en 2050 (milliers de TWh)
Dans ce scénario, l’énergie solaire est utilisée pour 18 500 TWh, l’énergie éolienne pour 12 500. Les deux tiers de l’énergie proviennent de l’électricité.
Trois solutions n’ont pas été prises en compte parce que leur coût est inconnu, le stockage de CO², l’emploi de l’hydrogène, les surgénérateurs nucléaires ; leur impact avant 2050 sera probablement assez réduit avant 2050 mais plus important au-delà.
De même on n’a pas retenu l’hypothèse peu réaliste d’une très faible utilisation d’énergies fossiles en 2050.
On peut évaluer pour 2050 l’Energie Finale correspondant au tableau ci-dessus d’utilisation d’énergie en utilisant les mêmes coefficients que pour 2011. L’Energie Finale ainsi calculée est identique à celle de 2011 alors que l’Energie Utilisée a augmenté de 30% et l’émission de CO² a baissé de 50%.
Et un calcul sommaire de l’Energie Primaire indique une baisse de 20% entre 2011 et 2050 alors que l’utilisation réelle augmente de 30%. Ces deux modes de mesure sont inadaptés.
Il est utile de comparer utilisation d’énergie et Produit Brut pour 2011 et 2050. On a admis un triplement du Produit Brut par habitant pour les Pays du Sud et un doublement pour les Pays du Nord.
Le ratio TWh/milliard de revenu se réduit de 1 à 0,5 de 2011 à 2050. On peut donc accepter un doublement d’ici 2050 du coût par kWh sans augmenter le poids de l’énergie dans le Produit Brut.
Le Produit Brut calculé autrement passe de 70 400 milliards à 160 000 milliards et la conclusion est voisine.
4. Stockage en 2050
Les défenseurs des énergies fossiles ont invoqué l’intermittence du solaire et de l’éolien pour minimiser leur avenir ; des « experts » ont déclaré qu’on ne pouvait pas stocker l’énergie électrique alors qu’actuellement les stations de pompage entre deux bassins (S.T.E.P.) totalisent 150 GW, six pour cent de la production électrique moyenne. L’intermittence est un surcoût et non une limite d’utilisation.
En 2050 les Pays du Sud utiliseront 22 000 TWh électrique dont 10 000 TWh à partir du solaire et 2 500 TWh à partir de l’éolien, d’où un excès de production de jour et un déficit de nuit. Le besoin de nuit, hors soleil, seront de l’ordre de 10 000 TWh dont 3 500 pourront provenir de l’hydraulique et du vent, 1 600 du solaire par concentration et 5 000 devront provenir des combustibles fossiles ou du stockage. Pour utiliser l’énergie de jour en excédent et réduire les combustibles fossiles, il parait souhaitable d’utiliser une capacité de stockage de l’ordre de 1 000 GW stockant 2 500 TWh/an. Le coût d’investissement est de 1 200 milliards de $, le coût annuel voisin de 100 milliards de $ pour 12 500 TWh de solaire et éolien soit 8 $/MWh, à porter à 10 $ pour tenir compte d’une perte au stockage. Le besoin sera réduit à 500 GW pour les Pays du Nord dont 150 GW existant. Le surcoût y sera de l’ordre de 5 $/MWh.
Les investissements en S.T.E.P. seront essentiellement entre 2030 et 2050. D’autres solutions éventuelles de stockage peuvent réduire les coûts ci-dessus. L’évaluation des besoins de stockage ne peut être précise. Le point essentiel est que le problème lié à l’intermittence des énergies solaire et éolienne peut être résolu à un coût très acceptable.
5. Investissements et coûts
L’essentiel des investissements d’énergies renouvelables est pour l’électricité éolienne, solaire et hydraulique. Les besoins de production sont supérieurs d’environ 20% à l’utilisation pour tenir compte de pertes et du transport. D’où une production solaire de 17 000 TWh, éolienne de 15 000 TWh, hydraulique de 8 000 TWh.
L’investissement par TWh solaire, principalement pour des pays ensoleillés, sera voisine de 500 millions de $ soit un investissement de 8 500 milliards de $.
L’investissement par TWh éolien est également de l’ordre de 500 millions de $ d’où un investissement de 7 500 milliards de $.
L’investissement hydraulique nécessite environ 2 500 GW pour la production dont 1 200 déjà investis et 1 500 GW de pompage dont 150 déjà en service d’où un investissement futur de 2 650 x 1,20 milliards MW soit un peu plus de 3 000 milliards.
Le total pour les trois sources ci-dessus est de 19 000 milliards $. Il faut ajouter un investissement nucléaire, un investissement pour les lignes électriques et pour les énergies non électriques, soit un total de l’ordre de 25 000 milliards de $ en 30 ans soit 800 milliards par an, environ 0,8% du Produit Brut qui sera en moyenne proche de 100 000 milliards de $ par an d’ici 2050.
En se basant sur les hypothèses ci-dessus et les données de l’I.E.A., les coûts de l’électricité renouvelable en 2050 seront (stockage compris) :
Ces coûts/MWh sont probablement plus élevés que les coûts techniques de l’énergie fossile, de l’ordre de 40 $/MWh, les coûts commerciaux étant plus élevés.
6. Autres scénarios
Les estimations de coût et de besoin d’énergie ne sont évidemment pas précises. Les bases d’un accord peuvent être révisées, par exemple en 2030. Augmenter alors les investissements de quelques millièmes d’un Produit Brut qui aura probablement augmenté de plus de 30% devrait être très acceptable.
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